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Sur la côte de Gaspé, on découvre un échouage, un échouage de divans blancs. Ils sont cinq, demi-flottants. Ils forment un salon déchu au bord de l'océan. Un observatoire du bout du monde, un observatoire du bout de notre monde. Ils sont une image qui renvoie à la désillusion de l'orgie de la consommation autant qu'à l'appauvrissement des milieux vivants.
Ces quelques canapés échoués, à demi-immergés, furent réalisés avec le même procédé que celui des maisons en ballots de paille. Tantôt droits, tantôt couchés, tantôt renversés, les divans ainsi sculptés seront disposés d'une manière à former, à marée haute comme à marée basse, un lieu de rencontre et de réflexion, où il sera possible de s'asseoir.
Ce troupeau de divan-baleines est une invitation à réfléchir à un mode de vie, une société de consommation, qui clairement court à sa propre perte. Le divan, symbole de notre laisser-aller devant la télévision. Cet objet fétiche du salon domestique de l'homme moderne porte aussi l'expression de notre rapport au monde. Le confort, la domination, la sécurité, l'apparence et la superficialité, sur fond d'ignorance et de perte de contact avec les dimensions écosystémiques, cosmiques et symboliques de l'univers sur lequel nous sommes si microscopiquement assis. Et ce 475e anniversaire de l'arrivée française sur le nouveau monde, c'est aussi à notre rapport au territoire qu'il nous renvoie. Qu'avons-nous faits de ce nouveau monde ?
Il est plutôt paradoxal qu'après avoir conquis tous les recoins du globe, après avoir été jusqu'au « bout du monde », notre civilisation se retrouve en quelque sorte aujourd'hui, au bout de son propre monde. Nous sommes face à l'obligation de revoir un modèle humain qui compromet la vitalité des milieux vivants par lesquels nous existons.
Lorsqu'on parcourt les descriptions d'abondance dont faisaient état les premiers visiteurs blancs du nouveau monde, on ne peut que déplorer aujourd'hui le silence malade du « Fleuve aux Grandes Eaux ». Lorsqu'on effleure le tragique des enseignements perdus dont les peuples autochtones avaient encore à nous apprendre, lorsqu'on prend conscience des incommensurables richesses humaines et biologiques dont la quête effrénée du profit et notre arrogante cupidité auront privé l'humanité, on peut considérer que la conquête du nouveau monde n'a pas été une grande chose, mais bel et bien un désastre.
Le grand chef Seattle, avant la vente des terres de son peuple écrivait aux blancs : « Souvenez-vous que tout ce qui arrive à la terre, arrive au fils de la terre. »
Nous avons envie d'ajouter : « Tout ce qui arrive aux baleines, ou à quelque autre espèce vivante, se répercutera jusque dans vos salons ! »
Au point de vue conceptuel, il aurait pu être juste, d'utiliser de vrais divans, mais nous croyons que cette solution aurait apporté l'esthétique d'une déchèterie et que le risque de discrédit du projet aurait été réel et légitime. Cela aurait aussi compromis la convivialité du lieu. C'est pourquoi il nous semblait important de travailler une véritable esthétique pour ce projet, par la représentation architecturale et sculpturale de l'objet signifié. Car l'objet ainsi représenté permet une maîtrise esthétique plus fine que la simple utilisation d'un objet existant. Nous pensons qu'il est du rôle de l'artiste, de dégager la beauté, même dans le tragique. Ainsi, pour ce projet, nous avons travaillé plastiquement à créer une beauté d'ensemble, à exprimer un lien poétique et relationnel entre l'homme et le paysage.
Cette exploration des dimensions symboliques et matérielles de nos rapports à l'environnement est au coeur des recherches artistiques de Marvayus. Elle est aussi au coeur des enjeux de notre temps.
Par notre travail, nous cherchons à élargir le spectre de la présence humaine aux territoires vivants : être mieux présent au monde. C'est-à-dire, aimer le monde, par la conscience lucide du réel, par la poésie et le rétablissement d'une dynamique relationnelle à l'environnement.
C'est en augmentant la qualité des relations, environnementales et sociales, qu'on améliore les possibles et qu'on donne de l'air au futur.
Mais aérer le futur, ce n'est pas chasser hors de soi tout mal ou toute souffrance au profit d'un « progrès » parfaitement gentil, joyeux et optimiste. L'avenir n'est pas un congé de pensée, mais l'exigence d'une honnêteté face à nous-même dont nous avons absolument besoin aujourd'hui.
Une création et réalisation de Marvayus
(Chloé De Wolf et Joël Larouche)
©Tous droits réservés, 2009
Crédits photographiques :
Marvayus + Paul Tremblay (images 1,9,14) + Gilles Pître (images 5,6,13)
Remerciements spéciaux à Pierre Gilbert (Greb), Guylaine Langlois, Paul Tremblay, Lénie Lacasse et Gilles Pître
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